Une petite nouvelle

Le Petit Chaperon Infra-rouge


Il était une fois une gentille enfant à qui sa mère-grand avait offert un chaperon à vision infra-rouge qu'elle gardait constamment sur elle, aussi l'appelait on au village le petit chaperon infra-rouge.

Grâce à ce merveilleux présent, la fillette pouvait, par exemple, choisir à chaque fois les petits pains les plus tièdes à la boulangerie, ou bien vérifier qu'il n'y avait pas de monstre sous son lit dans le noir.

Un matin, sa mère lui annonça : "Mère-grand est fort malade, tu devrais lui apporter ce petit pot de beurre, et aussi cette galette."
"Mais pourquoi maman? Ça ne la soignera pas pourtant, il lui faudrait le médicament du docteur..." demanda naïvement la fillette.
"C'est très bien la curiosité, continue à poser des questions, et vas apporter le pot de beurre à ta mère-grand." lui répondit tendrement sa mère. "N'oublie pas ton chaperon, et ne t'éloigne du sentier sous aucun prétexte, tu m'entends? Et surtout, prends garde à ne pas parler pas aux étrangers. Tu sais que les animaux de la forêt ne cachent pas une fâcheuse tendance anarchiste, et on ne peut pas faire confiance aux gens qui ne pensent pas comme nous, ou qui sont différents de nous."

La chère enfant se mit promptement en route, chaperon en position "off", pour ne pas trouer la couche d'ozone, comme disait son père.

À l'orée du bois, la fillette se remémora les conseils de sa mère, bien qu'elle ne saisissait pas le concept de "ne pas parler aux", et comme elle était loin d'être idiote, elle se dit que si elle rencontrait par malheur des étrangers, alors elle leur ferait la conversation en attendant la moindre occasion pour leur fausser compagnie, parce que sa mère ne parlait pas des étrangers avec le même ton que pour parler des voisins.

À l'orée du bois, elle s'engagea sur le sentier, et ne chercha aucun prétexte, de peur de s'en éloigner.

Rapidement un loup vint à sa rencontre. "Bonjour jolie demoiselle, que faîtes vous seule dans la forêt par de températures si fraîches?" demanda courtoisement le carnivore.
"Je dois porter cette galette et ce petit pot de beurre à ma chère mère-grand. D'ailleurs si vous connaissez une chemin plus rapide sans prétexte pour que je ne m'éloigne de celui-ci je vous en remercierais infiniment, car voyez-vous on m'a dit que des anarchistes rôdaient en ces lieux." lui expliqua poliment la fillette.
"En effet, répondit le loup, mais n'ayez crainte, ce genre d'idéal ne m'inspire guère, je préfère, à la raison du plus fort, le soutien de ma meute, que personnellement je trouve meilleure, bien que je puis concevoir que cela fasse débat de nos jours. Concernant votre requête, je crois connaître une sente qui traverse le bois et mène directement à la seule demeure de grand-mère que je connaisse, et la région n'a pour moi plus aucun secret, soyez-en assurée. Voyez vous ces ronces, bien que la cime de ces hêtres ne permette pas aux rayons de soleil de les distinguer précisément? Vous seriez avisée de bien vouloir aller tête baissée dans cet obscur endroit, car justement après ces bosquets peu attrayant, je vous l'accorde, commence la sente que vous recherchez, et dont je vous ais parlé tout à l'heure."
"Merci beaucoup monsieur le loup, mais les épines ne vont-elle pas me piquer?"
Le loup avait déjà filé ventre à terre en continuant sur le sentier dégagé, tandis que l'enfant se résolut à affronter les ronces seules, en s'efforçant de ne pas perdre son chaperon infra-rouge et son panier.

Le raccourci se révéla être si difficile à suivre, avec ses ronces qui griffaient genoux et mollets à chaque pas, que la fillette se demanda soudain si le raccourci en était vraiment un. Cependant elle parvint, au bout de beaucoup d'effort, à sortir des bosquets épineux, et déboucha sur une clairière. En même temps, elle découvrit le subterfuge du loup, car enfin le soleil et le vent purent lui murmurer qu'elle était tombée dans un piège, et que les loups courtois ça n'existe pas.
En effet, il fut un temps les enfants savaient parler au vent, mais apparemment ce temps est révolu. Bien entendu personne ne sait parler au soleil, ni ne peux le comprendre, mais enfin cela ne l'a jamais empêcher de parler, jusqu'à preuve du contraire.

Assis sur une bûche située à l'un des foyers de l'ellipse que décrivait la clairière, car celle-ci n'était pas ronde, il y avait un lapin, mais c'était un lapin qui avait un fusil.

Elle se dit que si le loup lui tendait une embuscade, elle ne pourrait pas compter sur le vent pour la prévenir, car un prédateur s'approche toujours contre le vent, aussi même si elle le repérait grâce aux infra-rouge, il était peu probable qu'elle sème un loup, d'autant plus que celui-ci avait planifié son coup et qu'il connaissait la région. Elle décida de demander au lapin s'il avait la bonté de lui donner son arme.

"Bonjour monsieur Lapin, je me suis égarée et j'ai bien peur qu'un vorace loup s'en aperçoive..." dit-elle au Lapin.
"Eh bien, vous pouvez vous réfugier chez mon ami le Cerf. C'est quelqu'un de très prudent, aussi il a établit le mot de passe : "Ou le chasseur me tuera".
Cette perspective arrangeait la fillette, car alors le Cerf pourrait l'accompagner jusque chez sa mère-grand.
"Habite-t-il loin d'ici?"
"Oui, aussi estimez vous heureuse si vous y parvenez sans être égorgée." répondit le lapin.
"Mais c'est précisément ce que je souhaite éviter! Écoutez, vous pourriez par exemple me passer votre fusil. Je doute fort qu'il puisse vous être utile d'aucune sorte."
"Ordinairement il ne l'est pas, mais... tiens, justement ce matin j'ai tué un chasseur avec." lui raconta le lapin.
"Et justement il se trouve qu'à cet instant précis j'ai ai grand besoin, moi aussi, sous peine de finir égorgée."
"Fâcheux, très fâcheux, en effet." le lapin ne la quittait pas des yeux.
Le chaperon infra-rouge réfléchit : comment obtenir quelque chose lorsque son propriétaire ne veut pas s'en séparer? Lui acheter?
"Je puis vous l'échanger contre un appareil qui vous permettra, une fois coiffé, de percevoir l'infra-rouge."
"Et les gamines enquiquinantes, je les percevrais aussi ou devrais-je une fois encore me servir de ça?" dit le lapin en rechargeant le fusil, non en introduisant des cartouches, mais avec un mouvement de pompe sous le canon.
Lui voler discrètement? Pas le temps d'attendre le moment opportun, même si chacun sait qu'il y en a toujours un, tôt ou tard.

Alors la fillette s'approcha du lapin, le tira par les oreilles vers le haut et lui prit le fusil des pattes. Elle le reposa sur la bûche, et lui dit qu'elle allait probablement devoir tuer un loup embusqué, et que si il ne voulait pas que la liste s'allonge, il allait devoir lui indiquer comment revenir sur le sentier principal. Le lapin rétorqua :
"Ah, j'aime cette vivacité! Je te le donne, tiens, pour te récompenser!" lui dit le lapin pour ne pas perdre la face."Concernant ton fusil, je dois te prévenir que c'est une arme coquillage."
"Heu... merci mais... ça change quoi qu'il y ait une perle dedans?" lui demanda la fillette.
Le lapin, étonné : "Tu ne sais pas... Aucune importance. Pas besoin de munition, mais ça se décharge avec le temps, alors il faut recharger à chaque fois que l'on veut tirer, comme ça." Klak-klak. Le lapin réitéra le mouvement de pompe sous le canon du fusil. "N'oublie pas de recharger au bout de quelque instants si tu n'as toujours pas tiré, sinon, ça se vide. Compris?"
"Je... je crois. Merci beaucoup."
Le lapin baissa la voix. "Autre chose. Il faut vraiment que tu sortes d'ici. Cette forêt est plus dangereuse que tu ne le crois." Le lapin bondit et s'enfuit dans les sous-bois.


Le soir tombait quand la petite fille s'approcha furtivement de la maison. Elle n'avait pas rencontré le loup, ce qui lui parut étrange. Elle abaissa la lunette dissimulée dans son chaperon infra-rouge sur son oeil gauche. Le loup n'était pas là. Bizarre. Elle murmura au vent : "As-tu vu un loup passer par la?", mais le vent ne soufflait pas.

L'enfant toqua à la porte de la maison. Une voix chevrotante lui dit "sert-toi de ton truc pour trouver la clé, et la porte s'ouvrira!".
La fillette répondit : "Mais la clé est froide!". Au bout d'un moment sans réponse, elle continua : "elle n'émet pas d'infra-rouge!". Étrange, mère-grand est très intelligente, car c'est elle qui avait fabriqué le chaperon infra-rouge.
La voix répondit "sert-toi de tes neurones, dans ce cas!"
La petite fille rechargea le fusil, puis claqua une balle dans la serrure, qui se détacha de la porte en bois et tomba à l'intérieur. Après y avoir été invité par un coup de pied, la porte s'ouvrit.

La chaumière était éclairée par quelques bougies, aussi l'enfant éteignit son chaperon infra-rouge et en releva la lunette, pour ne pas être éblouit.
L'enfant s'approcha du lit de sa mère-grand, et lui dit : "Bonsoir mère-grand, je t'apporte cette galette et ce petit pot de beurre pour te remonter le moral."
Le loup, soigneusement déguisé, lui murmura : "approche-toi mon enfant, je t'entends très mal."
La fillette s'approcha doucement. "Pourtant, tu as de bien longues oreilles, mère-grand."
Le loup demanda, en toussant : "C'est pour mieux t'entendre, mon enfant, mais vois-tu apparemment ça ne marche pas. Tu m'apporte aussi un fusil? Montre le moi s'il te plait, mes vieux yeux ne le distingue pas très bien." Le loup tendit les pattes pour le saisir.
La fillette lui tend, le canon imprudemment braqué vers le visage du loup. "Que tu as de grandes mains, mère-grand."
Le loup blêmit, louchant sur la gueule du fusil. Il l'observa un moment sans répondre puis : "C'est pour mieux te piquer ton fusil coquillage avant que tu ne puisse le recharger et t'en servir, petite sotte!"

Aussitôt dit, aussitôt fait, le loup s'empara de l'arme, et la jeta sous le lit car il ne savait pas s'en servir. Il fuit par la porte ouverte, et disparut dans la nuit.

La fillette comprit qu'il était trop tard pour sa mère-grand. Le loup, tout en subtilité, avait profité de sa naïveté pour la prendre de vitesse. Maintenant il pouvait compter sur l'obscurité pour le dissimuler pendant qu'il digérait tranquillement.


Le petit chaperon infra-rouge souffla les bougies. Elle abaissa sa lunette infra rouge, récupéra le fusil coquillage encore tiède du contact prolongé avec ses petites mains. Sur le pas de la porte, elle rechargea son arme, puis avança dans les ténèbres, prête pour une partie de cache-cache.